Pour parler de la pratique, nous passerons par la pratique des arts martiaux car l’enjeu à l’origine qui est la vie et la mort donne une intensité plus grande à cette pratique.
Au Japon, l’origine des arts martiaux est le champ de bataille au temps des guerres féodales. La pratique du sabre se résume au nombre de têtes coupées.
C’est en temps de paix, la voie de l’action étant fermée, que les adeptes vont intérioriser leur art avec la recherche de la voie.
La matrice du budo correspond à l’élaboration de l’art du sabre avec les shoguns Tokugawa qui stabilisent le Japon avec une longue période de paix qui durera du XVII ème au XIX ème siècle, la notion de spiritualité s’installera progressivement.
Au début du XIX il y a un déclin car la réalité du combat n’existe plus.
Face à la menace occidentale, renaît la conscience du rôle du guerrier, avec affrontement entre ceux qui défendent le shogunat et ceux qui veulent le supprimer.
En 1867, le shogunat prend fin, les privilèges du guerrier sont abolis, le sabre du guerrier disparaît à la fin du XIXème avec la mort de ceux qui ont vécu les derniers combats au sabre.
La notion de budo peut naître et elle est paradoxale. En effet les armes sont offensives et la recherche de progression de l’être humain semble contradictoire avec les objectifs de combat.
Cette naissance du budo va être une refonte de la tradition qui va proposer un objectif global d’éducation de l’homme conforme aux attentes de la société de la fin du XIXème.
Revenons en arrière : au début les armes sont sacralisées (à l’époque du shogunat) ; la voie du guerrier ou buhsido contient la conception du monde et les valeurs du guerrier.
La transmission de cette conception se fait par le corps et non par la parole.
La répétition depuis l’enfance réactive en permanence les situations réciproques dans la chaîne des rapports hiérarchiques.
On voit déjà une différence avec les pratiquants européens d’aujourd’hui qui n’ont pas conscience de ces valeurs hiérarchiques codifiées et ritualisées.
Les guerriers acceptaient d’être dans un monde clos, dans un chemin tracé d’avance mais il s’y investissait de manière à déboucher sur un univers ouvert et illimité celui de la recherche de la perfection au moyen de la pratique du sabre qui devient progressivement l’âme du guerrier, cessant d’être un outil de guerre.
A l’époque le guerrier doit sa vie à son seigneur, auquel il s’attache par filiation familiale, il porte l’honneur de ses ancêtres et en est redevable envers ses descendants. Il accepte de lâcher prise, de se soumettre et même de mourir.
Dans cette logique, il n’y a pas de toute puissance, de discussion, de mise en avant ce qui est une grande différence avec la pratique en Europe.
LE CORPS ET L’ESPRIT
Pour en revenir à toutes les pratiques, pas seulement martiales, il faut savoir qu’au Japon le geste qu’il soit technique ou quotidien est considéré comme une expression totale de la personne ; et c’est la répétition qui permet d’arriver à la perfection, c’est à dire au moment où l’homme s’ajuste au rythme de l’univers.
La technique est liée au corps, la réalisation s’effectue dans un moment d’intuition où le corps et l’esprit se fondent.
Certains courants psychanalytiques ont divisé le moi freudien en moi psychique et moi corporel ; hors dans notre culture ce moi psychique est hypertrophié et nous coupe de notre source d’énergie, c’est ce moi psychique que les japonais appellent égo.
C’est l’impérialisme de ce moi psychique ou de l’égo qui conduit à cette dissociation du corps et du psychisme dans son ensemble.
Dans notre société le corps a peu de place face au psychisme, ce qui explique notre raideur sur le tatami, notre incapacité à appréhender intuitivement et à reproduire une technique en laissant vivre notre corps.
Cela explique également notre rapport à l’alimentation et notre difficulté à savoir de quoi nous avons besoin et envie, les 2 étant souvent séparés et l’envie du psychisme en correspond pas aux besoins du corps.
On pourrait parler aussi de la santé ou du sport dans lequel on instrumentalise le corps en vue de performances ou de phantasmes sur la musculation ou la silhouette afin de satisfaire l’avidité du psychisme.
Pour rencontrer son corps il faut commencer par accepter ses émotions.
Il ne suffit pas d’exprimer sa rationalité, bien sur nous habitons notre corps mais plus ou moins bien, l’habiter complètement serait être entièrement ici et maintenant.
Par exemple quand je mange, je mange, je ne pense pas, je n’ai pas de pensées parasites.
Les arts martiaux ou les pratiques tels l’Ikébana, la calligraphie et pourquoi pas la peinture ou l’ébénisterie, etc… sont un moyen de rencontrer notre corps à travers toutes les difficultés que cela représente. Dans les arts martiaux, c’est aussi rencontrer le corps de l’autre.
Pratiquer c’est s’entraîner corporellement.
Pour un japonais, la notion de DO allait de soi, dans la société féodale.
Elle reposait sur la conception de l’ordre de l’univers.
Suivre la voie, c’était se mettre en harmonie avec cet ordre universel, c’est développer une personnalité riche, cultivée, capable de réflexions jugée charismatique par ceux qui connaissent cette personne et en même temps c’est faire preuve de discrétion, de simplicité, de détachement, de recul, c’est supprimer l’avidité, la volonté de contrôler le monde et les autres, la recherche de pouvoir, etc….
Pour les arts martiaux au XIXème siècle, le potentiel de dévouement hérité des anciens liens féodaux se réinvestit sur l’image du Japon représenté par la double figure de l’empereur et de l’état.
Prenons l’exemple du judo de maître Kano, destiné à la formation des futurs cadres d’état ou d’entreprise.
Chez maître Kano, il y a une discipline stricte et ascétique, un engagement total dans la poursuite de la voie chez l’élève, la force de la détermination de l’élève est d’ailleurs une des conditions d’admission dans l’école.
Inspiré par la formation des guerriers, l’acceptation de la discipline se fait par une démarche d’identification au senseï qui offre une image de celui qui est le plus avancé dans la voie, concrétisé par sa maîtrise technique plus grande que celle de ses élèves.
Aujourd’hui les arts martiaux se réclament du budo au Japon, mais il existe 2 tendances, une dure austère et violente, l’autre douce spirituel prétendant au dépassement de l’agressivité.
Entre les 2 tous les degrés existent avec également des pratiques de type sportives soit disant modernistes.
En France et en occident en général, c’est pire, ces 2 tendances existent mais frôle parfois le délire n’ayant pas de critères culturels précis et on mélange toutes les cultures asiatiques.
C’est une projection mythique faite par les européens sur les arts martiaux qui prévaut.
Ce qui différencie le bujutsu et le budo est la conception du combat.
Tuer l’adversaire ou considérer que l’adversaire est son égo.
Dans les 2 cas l’art martial se définit comme une tension vers la perfection, dans laquelle se place l’existence d’une dimension supra individuelle : divine et féodale pour le bujutsu, remplacé par l’empereur et l’état dans le budo.
L’adepte s’investit avec la conscience de défendre son seigneur en accord avec les dieux et en honorant ses ancêtres ; cela justifie l’effort et l’acceptation de la hiérarchie et le sacrifice, (cela ne fait pas partie de notre culture).
C’est une forme d’intégration sociale qui tend à disparaître au Japon avec l’abondance, les japonais ne se sentent plus le besoin de sauver le Japon et de devenir un pilier de l’Etat.
Cette attitude et ce besoin collectif hiérarchisé d’appartenance et de dévouement a souvent été récupéré par les mouvements militants d’extrême droite et les entreprises au Japon.
Cette dimension sociale n’existant pas en Europe qu’est ce qui pourrait distinguer le budo des formes d’activités sportives.
La réponse est la recherche de la perfection au sens japonais du terme, c’est à dire basée sur une forme d’intuition à la tendance à la fusion avec un principe universel.
Exécuter une technique parfaite ou une coupe parfaite, c’est être ici et maintenant, c’est avoir en soi la possibilité de se mettre en résonance avec le principe de vie qui régit l’univers.
La profondeur et la signification d’une technique ne dépendent pas seulement du degré de perfectionnement apparemment mais de l’intensité et de l’amplitude de l’état psychique vécu à ce moment particulier.
Se perfectionner est dans ce sens fondamentalement différent de l’idée moderne d’épanouir sa personnalité, c’est un approfondissement de soi-même, une recherche de la connaissance de soi et de l’autre, une perception de ses insuffisances.
Au départ le pratiquant étudie la vitesse, la diversité des techniques, puis il est amené à être attentif aux cadences, à la respiration, au maï.
C’est un déplacement de l’attention porté aux éléments constitutifs visibles de l’efficacité à ceux moins visibles.
Ce déplacement s’accompagne d’une perception différente de son corps et de l’adversaire, chaque technique devient une sorte de mise en cause de sa manière d’être.
Si l’on parvient à avoir l’esprit libre sans trouble, on se donne la possibilité de vaincre tout adversaire ; ce n’est plus la peine de lui porter un coup, celui d’en face n’est plus un adversaire, c’est soi-même l’adversaire dans ce qui nous empêche de percevoir à travers sa peau l’intention de l’autre et de projeter sa propre énergie.
En conclusion :
La pratique devient alors un moyen d’accomplissement
Michel Causse
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